Webzine Le Net Blues
Par: Louise Gosselin
Craig Miller
Craig Miller est un harmoniciste chanteur américain que nous avons aperçu pour la première fois l'an passé au festival d'harmonica de Carl Tremblay au Café Campus de Montréal. Une bouille sympatique et amicale doté d'une maîtrise du blues d'origine très captivante. Nous sommes allés le rencontrer au Bourbon Street West de Pointe-Claire il y a quelques semaines. Voici donc l'entrevue réalisée avec ce musicien qui nous répond avec toute humilité des vrais bluesmen.

Quand as-tu commencé à jouer du Blues ?
Aux alentours des années 70, j’ai entendu Junior Wells jouer avec Bonnie Raitt à l’émission de télé ‘‘Austin City Limits’’.  Wow!!  Quelle sonorité !!!  Depuis ce temps, je ne cesse d’écouter du Neil Young et du Bob Dylan !  Peu après, j’ai décidé de tenter de reproduire, quitte à y consacrer ma vie, une sonorité genre sax comme celle que j’avais entendu.  J’ai essayé toutes les sortes de microphones et d’amplificateurs, des micros bons ou vieux, différents amplificateurs et sortes de hauts parleurs 10’’, 12’’, 15’’ mais il m’a fallu des années pour reproduire ce que j’entendais dans ma tête.

Alors, où as-tu trouvé l’influence de ta sonorité ?
J’ai commencé à écouter des joueurs d’harmonicas qui avaient une sonorité pleine, les sax ténor, les claviéristes et les guitaristes.  Mes harmonicistes favoris sont ceux qui sont maîtres des sonorités chaleureuses, voluptueuses et un peu noires :  Junior Wells, James Cotton, BIG Walter Horton, William Clarke, Rod Piazza, Magic Dick, Paul Butterfield et plusieurs autres.

À Chicago, à la fin des années 70, je jouais dans un groupe du genre un peu western/swing qui s’appelait ‘’Full Swing Ahead’’ qui fut fondé par Bob Egan, un guitariste de lap steel et pedal steel, qui était à l’origine, du Blues Rodeo.  Nous avons beaucoup joué du genre ‘’Asleep at the Wheel’’ et ‘’Bob Wills and the Texas Playboys’’ en plus de Cab Calloway, Duke Ellington. Beaucoup de partition de son de violon et cor exécuté sur un harmonica dans leurs style de pièces musicales.

Parce que j’étais souvent dans les bars j’ai commencé à rencontrer mes idoles et j’ai commencé à les questionner en cherchant à comprendre comment atteindre ce son insaisissable que je voulais tant obtenir.   Avec le recul je me suis aperçu que je demandais toujours les mauvaises questions.  Je demandais des conseils au sujet du choix des microphones, d’amplificateurs et de l’ajustement du contrôle sonore.  J’ai beaucoup appris mais je ne pouvais toujours pas atteindre cette intensité et ce côté obscur du son. 

C’est alors que je rencontre à plusieurs reprises Junior Wells et il était toujours très positif et encourageant mais il était très difficile à saisir du, à son passé culturel et sa créativité à utiliser des substances récréatives.  Au fil des années, j’ai appris quelques choses de chacune des personnes que j’ai rencontré, comme Billy Branch, Paul Butterfield, Charlie Musselwhite, Rod Piazza,, mais la personne qui m’a réellement aidé à trouvé le son que je recherchais fut James Cotton.
C’était autour de 1979, je prenais alors des cours de placement de voix afin d’en améliorer l’étendu car j’étais le chanteur des Full Swing Ahead, alors je travaillais déjà les techniques de respirations, relaxation de la gorge, support du diaphragme… les même techniques que l’on enseigne au saxophoniste.  En 80 ou 81, j’ai rencontré James Cotton et son groupe de Chicago au club On Broadway.  Après avoir parlé un bon moment je lui ai demandé franchement : ‘’comment réussis-tu à avoir cet intensité sonore’’ ?  Alors son ami s’approcha et posa sa main sur la très large poitrine de James et dit : ‘’Hey ! Tout vient d’ici !!’’  Je lui répond alors : Veux-tu dire que je dois m’efforcer d’avoir une grosse poitrine comme ça ?  Et James Cotton m’a dit alors les mots qui ont changé entièrement ma démarche : ‘’Mais non – tu n’as qu’à respirer avec la poitrine que tu as !! Tu dois jouer d’ici !  C’est de là que viennent tous les sons intenses, Man !!’’
C’est alors que j’ai commencé à appliquer toutes mes techniques vocales, respirations et spécialement celles qui touchent la gorge, le diaphragme et la relaxation corporelle et, le son est devenu immédiatement plus riche.  Parce que l’entière trachée-artère, la gorge et les poumons deviennent une chambre à production de son (chambre de résonance ?)  C’était trop simple !  Ce fut par contre un point tournant et bientôt mon son est devenu ma signature et parmi le monde rock de Chicago et les groupes qui faisaient des originaux, j’ai commencé à faire plusieurs apparitions en tant qu’invité et quelques sessions de travail.
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Quels sont les groupes de Chicago dont tu as fait parti ?
Aux alentours de 1988 jusqu’au début des années 90, j’ai participé à un groupe appelé The Spontanes, un petit groupe rock de 5 musiciens, encore avec le guitariste Bob Egan du Blue Rodeo (un de mes groupes favoris).  Nous avons fait la plupart des bars du côté nord, incluant de fréquente apparition au Bub City dans ses belles années.  Nous avons interprété beaucoup des pièces originales de Bob (www.bobegan.com), nous avons jouions de tout, de Little Feat à Bonnie Raitt, de J. Geils à Lyle Lovett, de Delbert McClinton à The Neville Brothers, de Jimmy Cliff et k.d. Lang à Robben Ford.  Et il y avait des tonnes de pièces qui demandaient un son d’orgue mais, nous n’avions qu’une guitare, un harmonica, un violon et une section de percussion.  Quelqu’un devait produire un son d’orgue,,, J’y reviendrai plus tard.
Durant toutes ses années j’ai été assez chanceux et j’ai pu joué avec un grand nombre de groupe incluant ceux qui étaient immensément populaire à Chicago.  Au milieu des années 90 après que le groupe The Spontanes s’est séparé, je rejoignais régulièrement des bluesmen dans les clubs du centre-ville tel le Kingston Mines, B.L.U.E.S. on Halsted, Buddy Guy’s Legends, Rosas, Lillies, Blues on Clark, etc.  Du milieu des années 90 jusqu’à la fin de celles-ci j’étais un invité régulier de Son Seals, un pilier des scènes de Blues de Chicago.  Il n’a jamais eu la popularité de Muddy Waters ou BB King mais ceux-ci savent qui il était.  J’ai participé quelques fois avec le magicien, Otis Rush, il est émouvant de l’avoir aux alentours.  Un après-midi chez lui, il m’a enseigné un tas de choses sur l’harmonica, même si il est un guitariste !  Il est vraiment brillant.
Au Rosa’s je jouais occasionnellement avec un homme plus âgé, Buddy Scott (que Dieu ait son âme) qui a joué longtemps mais n’a jamais connu la célébrité. J’ai aussi joué à cet endroit avec le guitariste de Son Seals, Nick Becatini.  Ce gars là plane avec une Strat,,,
Il m’a présenté à Lurrie Bell (harmoniciste et fils de Carey Bell) et nous avons vite formé un petit groupe avec quelques-uns de mes vieux amis du groupe Spontanes.  Tous les lecteurs qui ont déjà entendu Lurrie savent quelle immense gâterie ce fut.  Ce fauve est un joueur/chanteur de blues monstre, mais son attitude ‘’recreational over-indulgence’’ fait qu’il est absolument impossible de l’avoir dans un groupe, parce qu’il était prévisiblement imprévisible dans cette période.
Après seulement un contrat je me suis dit que c’était le premier et le dernier.  J’espère qu’il est mieux maintenant car il était vraiment sur une mauvaise pente à cet époque.  Mais, quel guitariste,,, je connais une foule de guitaristes qui ont cessé de jouer après l’avoir entendu. Il était fascinant!
Du milieu des années 90 jusqu’à la fin, j’ai fait des tonnes de spectacles et quelques enregistrements avec un grand auteur/compositeur/interprète, Ralph Convert et son petit groupe acoustique, aussi avec son groupe rock électrique, The Bad Examples (www.waterdogmusic.com)  J’ai participé à des spectacles de blues avec The Blue Balls qui se composait de quelques musiciens du groupe The Bad Examples et de leur excellent guitariste John Duich qui fut une grande inspiration pour moi.  Dans la quarantaine, John a subi un infarctus fatal.  Il était en bonne forme, ne buvait pas mais il fumait,,, et du jour au lendemain,, bang,,, il est mort !  Le monde venait de perdre un Géant.
J’étais souvent invité avec le groupe Dick Holliday & The Bamboo Gang, lequel était un ‘’who’s – who’’ des musiciens rock de Chicago.  Tous des tueurs !  Dans cette période j’ai aussi enregistré un grand nombre de CD qui ont probablement trouvé une douzaine d’acheteurs peut-être une centaine !!  En 95, j’étais à la tête d’un groupe de 10 musiciens le Big Witness, composé de ravageurs incluant Ahmad Jamal le bassiste tout simplement brillant de Jim Cammack.  Même si le groupe était vraiment ‘’hot’’ le projet est tombé à l’eau au bout de six mois. 
Fin 90, j’ai été avec les merveilleux Skip Town & The Greyhounds, un groupe de 6 musiciens qui se composait de deux harmonicistes, un sax et un ‘’line-up’’ de monstres du blues dont Peter Quinn, qui a écrit et chanté le ‘’hit’’ international The Curly Shuffle.  J’ai appris énormément de cet homme à la voix fabuleuse, durant nos 20 ans d’amitiés.  Nous avons dû travailler vraiment très fort pour traverser la barrière de couleur, de la discrimination inversée que les bluesmen blancs de Chicago vivent.  Nous avons joué dans des places du genre du House of blues, dans des bars de banlieue qui étaient fantastique et qui nous aimaient.  Nous étions aussi moins bien payé que les groupes de Noirs, maintenant je comprends comment ils se sont sentis depuis 200 ans !

Quel a été ta session d’enregistrement la plus mémorable ?
Tout ce que j’ai fait avec Ralph Convert fut mémorable et amusant.  Nous avons aussi fait des tonnes de festivals et de gros spectacles incluant un enregistrement ‘’live’’ au très populaire théâtre Park West de Chicago.  Le plus mémorable était un enregistrement pour William Bally, mieux connus comme le fabricant de machine à sous et de ‘’pinball’’.  J’ai écrit et joué les lignes d’un ''Fiddle Tune'' avec banjos et tout et tout, l’enregistrement fut fait à sa vieille usine de 1945.  Le contrat payait $200 et j’ai essayé de recevoir des royautés pour toutes les fois où la partie remportait beaucoup d’argent.  Ils m’ont dit : Désolé, non.  Alors j’ai essayé à 5 cent,,,, Non.  Je me suis ré-essayé à 1 sous.  Non, c’est deux cent dollars ou bien on prend un son d’harmonica sur un clavier midi !
J’ai répondu : Ok, Ok  Où est-ce que je me branche ?  L’année suivante cette machine à sous de malheur appelé Reel ‘Em In, est devenu LA plus populaire dans le monde entier !  Le monde du jeu est devenu fou au sujet de cette machine et jusqu’à quelques années ils remplissaient une salle de machines et organisaient des tournois internationaux de Reel ‘Em In à Las Vegas !! Et, à chaque fois que vous atteignez un certain niveau de gains vous pouvez entendre la petite musique que j’ai composé et qui joue la partition d’harmonica.  À chaque fois que quelqu’un gagne, je reçois,,, absolument rien,,, mais au moins personnes n’a à écouter un son d’harmonica au synthétiseur.
 

Quel a été ton influence principale ?
Musicalement, j’ai toujours été plus influencé par d’autres instruments que l’harmonica, en premier lieu le saxophone, guitare et claviers et à un certain degré la mandoline et les violoneux.  J’ai travaillé des années à amener l’impression d’un autre instrument lorsque je joue de l’harmonica.  Par exemple, j’ai toujours été fasciné par les guitaristes qui jouent des accords en mouvement lors de solo, comme Amos Garrett, Ry Cooder, Lowell George du Little Feat, aussi le virtuose du pedal steel Doug Jernigan et le très bon guitariste de la région du Texas-western, Buddy Emmons.
Vocalement j’aime un grand nombre de gens ; Delbert McClinton, Joe Williams, Ray Price, Louie Jordan, Lambert-Hendricks et Ross, Elvis Costello, Bonnie Raitt.  Mais ma collection est vraiment très éclectique incluant du vieux country comme Bob Wills et George Jones à Riders in the Sky, un groupe qui peut Yodler en harmonie.  J’ai des tonnes de cd de k.d. Lang, un grande collection de Duke Ellington et quelques bon Bob Marley, Blue Rodeo, Clint Black, j’aime toutes les musiques si elles sont bonnes.

Tu nous as dit que tu nous parlerais de ton son d’orgue,,, sur l’harmonica ?
Oh oui, c’est vrai.  Dans plusieurs groupes durant toutes ses années, nous avons eu besoin de son de clavier. J’ai toujours été un grand fan des orgues Hammond B2 et B3 avec le haut-parleur tournant ‘’Leslie’’.  J’ai alors développé un son qui, d’après certaine personne, est assez convainquant d’un son d’Hammond maganée ou à tout le moins d’un Wurlitzer qui a besoin de réparation.
Je ne suis pas sûr si je devrais révéler mon secret, mais tout le monde à Montréal a été si gentil avec moi,,, bon d’accord :
En utilisant le blocage de langue, je fais souvent du ''Chord Comping'' durant le solo de notre guitariste.  Ensuite, pour avoir l’effet Leslie, je commence un accord ‘’clean’’ suivi d’un vibrato de la langue pour après ajouter l’effet trémolo de mon amplificateur Ampeg 1958.  Avec le trémolo ajusté à une vitesse différente sur l’amplificateur j’exécute deux sons qui, en compétitions entre eux, créent ainsi l’effet tourbillon genre Leslie. 

C’est magnifique sur une pièce musicale du genre de celle de B.B. King, The Thrill is Gone.
Depuis ce temps, j’ai développé ce côté comme étant ma signature mais, habituellement cet effet passe inaperçu car personne ne reconnaît le son de l’harmonica.  J’ai entendu des centaines de personnes au cours de toutes ses années me dire : Je n’entends l’harmonica qu’en solo.  Alors je leur demande : Pouvez-vous entendre le clavier ? Et il me disent inévitablement : Oui, clairement.  Alors je leur réponds, NOUS N’AVONS AUCUN CLAVIER !!!  C’EST MOI QUE VOUS ENTENDEZ !
Et il y a de cela deux semaines au Bourbon Street West, un des guitaristes très connus de la scène montréalaise est venu me rencontrer après le spectacle et m’a demandé d’où le son d’orgue Hammond et du Leslie provenait. Il a fait ma soirée !

Vidéo
Blues Train Deluxe

Harmonica: Craig Miller  -  Guitare: James Loon  -  Batteur: '' Professor '' Jeff  Tobin
Saxophone: Shmil '' Rico '' Royale  -  Basse: Ian Partridge

 

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